« Vous êtes pas écoeurés de mourir, bande de caves ? C’est assez ! »

En 1971, le Grand Théâtre de Québec est inauguré en présence du gratin politique et culturel de la ville. La murale du sculpteur Jordi Bonet couvre trois murs. Au lendemain de l’inauguration, une controverse éclate. Une phrase du poète Claude Péloquin, gravée dans la murale à l’invitation de Jordi Bonet, provoque et scandalise : « Vous êtes pas écœurés de mourir, bande de caves? C’est assez! ». Roger Lemelin, l’auteur du roman Les Plouffe, est indigné. La phrase de Péloquin lui semble vulgaire, indigne d’un lieu de culture. Il souhaite la faire effacer. Il en appelle donc à la population et recueille une pétition de plus de 8000 noms qu’il remet au ministre des Affaires culturelles. S’ensuit un débat sur la liberté artistique qui va enflammer le Québec tout entier.

Voici un extrait de la réponse officielle de Jordi Bonet donné en conférence de presse devant la murale en 1971, dans laquelle il révendique, entre autres, la liberté d’expression et la fierté de la langue, soit du français parlé au Québec vis-à-vis de Paris, mais aussi de la langue catalane vis-à-vis de Madrid :

Ceci nous concerne tous, chers concitoyens . […]

«Vous êtes pas écoeurés de mourir, bande de caves, c’est assez ! », mots du poète Claude Péloquin, gravés dans les murs du Grand Théâtre, sont un cri d’amour lancé à la face du monde. […]

Il est temps de comprendre que ce n’est pas un Montréalais qui est venu à Québec graver sa pensé, mais tout simplement un poète. Temps de comprendre que les premiers mots de cette phrase, VOUS, ne sont pas addréssés aux Québécois, plus qu’aux Américains ou à d’autres, mais à l’Homme. Ici on a fait de la poésie et de l’art pour les hommes de partout. […]

Que l’on sache qu’il n’y a pas eu de crachat. Claude Péloquin ne s’est pas exprimé avec vulgarité. On dit cela par complexe de colon, parce qu’on ne parle pas comme dans la capitale de là-bas, Paris. Et sans le savoir, on insulte tous les Québécois. Dans la langue, comme dans toute autre chose encore, il y a des classes: la hi-classe et la classe populaire. La hi-classe a toujours considéré la langue du peuple comme vulgaire. C’est du petit racisme intellectuel inconscient que l’on souffre.

J’ai déjà vu des canadiens français gênés à Paris, comme j’ai vu des Catalans, j’en suis un, gênés et hontés à Madrid à cause de leur accent [en espagnol] et de leur langue [catalane]. Mais la honte est là: la honte est dans le fait d’avoir honte. La vulgarité est dans la servitude.

Il ne faut jamais enlever à un peuple la fierté de sa langue. Un peuple est d’abord libre, s’il est libre de s’exprimmer. Et la liberté d’expression commence en la liberté d’employer les mots qui nous sont propres. Aussi il faudra que tous comprennent que le Québec est suffisament beau et grand, grand là-dedans, pour parler au monde dans sa langue, avec son accent et ses mots. Laisser de nourrir les yeux que pour la peur. À toute la violence que les hommes font pour tuer et aussi pour laisser mourir, il faudrait crier partout qu’il ne faut plus que l’Homme meure. […]

Puis qu’aujourd’hui je ne peux pas garocher partout les cinq continents de cette terre les quelques dizaines de tonnes de ciment acceptez que je vous redise au mon de Péloquin et à mon nom propre ces mots foux «Vous êtes pas écoeurés de mourir, bande de caves, c’est assez !» afin que vous les repetiez partout puis qu’ils sont adressés à tous.

Jordi Bonet lors de la conférence de presse au sujet de la polémique du Grand Théâtre, 1971
Réelle expression artistique ou simple provocation? L’inscription sur la célèbre murale du Grand Théâtre de Québec ont fait scandale. Les mots sont du poète Claude Péloquin, mais ils sont gravés par le sculpteur Jordi Bonet. Vision de la murale en 1970.