Soleiada : L’Homme soleil

Le jeune Jordi approfondit aussi sa connaissance de la culture catalane grâce à un maître indiscutable, son oncle, l’architecte Lluís Bonet Garí. En effet, la maison de l’oncle Lluís devient un des précieux foyers où dans la clandestinité, l’histoire, la langue et la culture catalanes continuent de se cultiver. L’œuvre des grands poètes Joan Maragall et Jacint Verdaguer, entre autres, faisaient sans doute partie de l’univers culturel de la famille Bonet.

Outre son travail de journaliste (plus de 450 articles, discours, prologues, etc.) et de traducteur d’auteurs comme Ruskin, Schopenhauer, Carlyle, Nietzsche et Novalis, Joan Maragall (1860-1911) est surtout connu pour être l’un des plus grands poètes de la littérature catalane. Il est le principal représentant du courant moderniste. Maragall se détache du romantisme de la période précédente (la Renaixença catalane) et défend la spontanéité et la recherche de la simplicité jusqu’à développer sa propre «théorie de la parole vivante», qui a connu un grand succès. En évitant toute grandiloquence, il développe un style naturel issu de sa propre expérience. Il s’approche du langage familier tout en se détachant des des limites formelles. Ainsi, il devient un grand représentant du vitalisme, en opposition au symbolisme, lequel avait réduit la dimension sociale de la poésie. D’ailleurs, Maragall fait de sa création littéraire (les poèmes certes, mais aussi la composition de chants, de hymnes et de chansons) un instrument pour dynamiser la collectivité et contribuer de cette façon au dévéloppement du projet politique du catalanisme.

Maragall a publié «Soleiada» dans la revue Pèl & Ploma en 1900. Le journal El Autonomista de Gérone l’a publié à son tour en 1904 comme poème de Noël. Selon la professeure de l’Université de Barcelone et spécialiste de Maragall, Glòria Casals, «Soleiada» admet deux lectures, une profane et l’autre religieuse : « la première nous parlerait de la conception et de la naissance du fils du soleil; la deuxième, revélée par le ton prophétique du dernier vers, nous parlerait plutôt de la conception et de la naissance de Jésus. »

COUP DE SOLEIL

Dans une ferme vivait
Une jeune fille qui avait les dix-sept ans de l’amour,
Elle était si belle
Que les gens d’alentour disaient
« C’est une fille comme le soleil. »
Elle le savait bien
Qu’elle était du même sang que le soleil,
Et tous les matins
Par la fenêtre béant sur le soleil levant,
L’astre de feu et d’ambre
Entrait par flots dans sa chambre,
Et elle, nue, avec délices,
Se laissait aller à la flamboyante caresse.
Tant se livra à ces douces manigances
Que le soleil pénétra dans ses entrailles
Et bien vite elle sentit
Une flamme qui remuait en elle.
« Adieu ma maison et ceux qui l’habitent;
Moi, grosse de lumière, je m’en vais par le monde ».
Abandonnée de tous,
Elle se mit à errer dans la contrée.
Elle était joyeuse comme l’oiseau qui vole
Et chantait toute seule…
Elle chantait : « Je suis l’aube,
Car je porte en moi le soleil,
J’en suis toute rosée.
Les cheveux me rogent,
Mes yeux étincellent,
Les lèvres me brûlent
J’ai le feu aux joues, j’ai la flamme au front
Et dans ma poitrine une longue brûlure.
Dans la lumière, je suis toute lumière. »
Les gens qui l’entendaient
S’arrêtaient, émerveillés, et la suivaient.
Ils la suivaient par la plaine et la montagne,
Pour l’entendre chanter la chanson étrange
Qui par degrés la faisait plus belle.
Quand elle se sentit assez éclatante,
Elle dit : « L’heure m’est arrivée. »
Elle cessa de chanter et près de là
Dans une chaumière elle entra
Alentour, les gens n’apercevaient qu’une splendeur
Et n’entendaient que la plainte puissante de l’accouchée
Tout d’un coup, les haies resplendirent
Comme le feu des étoiles
Et un grand bûcher monta vers le ciel.
Les gens s’enfuyaient épouvantés
Et dans la grande solitude seulement restait
Un enfant pareil au soleil, qui marchait
Et disait, gravissant la montagne :
« Je viens pour unir le ciel à la terre. »

«Soleiada» est un poème de Joan Maragall paru en 1900. «Coup de soleil», la traduction française de Pierre Pages et Albert Camus, a été publiée dans la revue Le Cheval de Troie, num. 2-3, août-septembre 1947

L’Homme Soleil est une oeuvre emblématique de Jordi Bonet, réalisée d’abord en céramique entre 1973 et 1975. Après la mort de l’artiste en 1979, le fondateur du Cirque du Soleil, M. Guy Laliberté, a entrepris de compléter le projet de réaliser d’autres éditions de cette oeuvre avec la collaboration de madame Huguette Bouchard-Bonet, épouse de Jordi Bonet.

Guy Laliberté a offert une version en bronze de L’Homme Soleil à la Ville de Montréal, raison pour laquelle cette oeuvre fait maintenant partie du réseau d’art public de Montréal. Ladite murale a été installée devant la maison de la culture Ahuntsic-Cartierville.

Une autre version en aluminium a été cédée à la Succession Jordi Bonet et vous pouvez l’admirer du 4 décembre 2019 au 12 mars 2020 au Carrefour des arts et des sciences de l’Université de Montréal.

« ‘L’Homme Soleil’ est une murale en bas-relief composée de motifs abstraits, de différentes textures et d’images figuratives dont huit soleils radieux encadrant une figure humaine. L’œuvre, en céramique, a été créée entre 1973 et 1975. Une édition de huit exemplaires en bronze devait être réalisée, mais le décès de l’artiste québécois d’origine catalane l’en a empêché. Monsieur Guy Laliberté, fondateur de Lune Rouge, qui a fait l’acquisition de la céramique d’origine, a entrepris de compléter le projet à partir de 2008 avec la collaboration de madame Huguette Bouchard-Bonet, épouse de l’artiste. La réalisation de la murale a été confiée à l’Atelier du Bronze. »
Communiqué de presse de la Ville de Montréal, 21 septembre 2017