J’ai regardé cette terre

Salvador Espriu (1980)

He mirat aquesta terra

Quand la lumière émergeant de la mer
commence à trembler à l’Est,
j’ai regardé cette terre,
j’ai regardé cette terre.

Quand par la montagne de l’Ouest
le faucon prend la clarté du ciel,
j’ai regardé cette terre,
j’ai regardé cette terre.

Alors que soupire l’air vicié de la nuit
et que des bouches sombres battent les chemins,
J’ai regardé cette terre,
j’ai regardé cette terre.

Quand la pluie apporte l’odeur de poussière
des feuilles dures des buissons lointains,
j’ai regardé cette terre,
j’ai regardé cette terre.

Quand le vent souffle au milieu de la solitude
de mes morts qui rient d’être réunis pour toujours,
j’ai regardé cette terre,
j’ai regardé cette terre.

Alors que je me fais vieux dans le long effort
de labourer mes souvenirs,
j’ai regardé cette terre,
j’ai regardé cette terre.

Quand l’été répand le large silence
des criquets à travers le champ endormi,
j’ai regardé cette terre,
j’ai regardé cette terre.

Pendant que comprennent des doigts aveugles et sages
comment l’hiver dépouille le sommeil des branches,
j’ai regardé cette terre,
j’ai regardé cette terre.

Quand la force des chevaux emballés de pluie
remplit soudainement les cours d’eau,
j’ai regardé cette terre,
j’ai regardé cette terre.